Descriptif / Objectif
Laboratoire de Recherche en Philosophie Pratique (L.R.Ph.P.)
Université d’Égée, Faculté des Sciences Humaines, Département des Sciences de l’Education Préscolaire et de l’Ingénierie Éducative, Rhodes (Grèce)
2ème Biennale Internationale de Philosophie Pratique en ligne
«Philosophie en praxis. Le geste philosophique: engagements politiques, éthiques, éducatifs, artistiques»
25 – 28 Novembre 2021
Dans une période de forte interrogation sur les caractéristiques des ‘‘crises’’ qui frappent çà et là les sociétés occidentales, une certaine demande sociale se fait entendre quant aux apports de la philosophie dans la recherche du sens de l’existence et dans l’expérience d’une vie cohérente. Il est même possible depuis une trentaine d’années de parler d’un certain ‘‘désir de réflexion’’, qui, au niveau des activités philosophiques, s’exprime entre autres à travers plusieurs pratiques peu ou prou innovantes, telles que les cafés philosophiques, les ateliers de philosophie pour enfants, voire même des ‘‘performances philosophiques’’, où se croisent ‘‘désir de philosophie’’ et ‘‘désir d’art’’, ou encore toute une littérature ‘‘grand public’’ allant des magazines de philosophie au rayon du ‘‘développement personnel’’ des espaces culturels dans les grandes surfaces.
Dans ce contexte, il est aisé de deviner que l’activité des philosophes court le risque de perdre ses spécificités et d’être noyée dans un conglomérat informe d’activités diverses, centrées par exemple sur la spiritualité, l’écologie, l’orientalisme, la thérapie, l’éveil de soi ou la créativité. Mais inversement, une posture de refus inconditionnel de toutes les nouvelles formes de pratiques philosophiques, si elle peut éventuellement fortifier un repli sur le ‘‘temple’’ universitaire, couperait les philosophes des mouvements du monde et des activités par lesquelles les humains tentent, justement, de réaliser le projet philosophique originel: la philosophie est un ensemble d’exercices parce qu’elle est ‘‘un mode de vie, une forme de vie, un choix de vie’’ (Hadot, P., La philosophie comme manière de vivre, Paris: Albin Michel, 2001, p. 154).
Ainsi, sans renoncer à son ancrage dans une histoire et dans un ensemble de méthodes qui constituent bien sa spécificité disciplinaire, la philosophie doit aussi assumer son caractère pratique, c’est-à-dire :
- son pouvoir d’aide à la décision (est pratique ce qui relève d’un choix, d’une délibération, d’un engagement),
- son pouvoir d’incarnation dans une forme de vie (est pratique ce qui se concrétise dans des gestes, soit des actes, soit des conduites) ou même sa forme incorporée,
- son pouvoir de découverte et de création de sens pour les activités humaines (est pratique ce qui peut inscrire son sens dans l’expérience des personnes),
- son pouvoir d’interrogation, de critique et de discussion sur ce qui demeure problématique dans l’existence humaine (est pratique ce dont le sens demeure ouvert, sans ‘‘vérité’’ ni réponse définitive).
L’ambition des organisateurs/trices de la Biennale et du Laboratoire de Recherche en Philosophie Pratique est donc d’interroger la notion de geste philosophique dans une complexité que ne saurait masquer l’évidence superficielle de son sens : qu’est-ce qu’un geste philosophique ? Comment le caractériser ? Comment faire un geste philosophique ? Dans quelles pratiques s’inscrit-il ? À la limite, existe-t-il des gestes proprement philosophiques ?
Ce projet, bien sûr, n’est pas si récent : des pratiques antiques de soi dans les écoles de philosophie jusqu’à l’engagement politique contemporain au nom de principes philosophiques, en passant par les débats marxistes sur la philosophie comme ‘‘théorie de la pratique théorique’’ ou par la réflexion existentialiste sur les attitudes et les actions par lesquels l’individu ‘‘se choisit’’, la philosophie a bien souvent eu affaire à ses occurrences pratiques. Il nous semble toutefois que la notion de ‘‘geste philosophique’’ demeure insuffisamment élucidée, surtout dans un contexte dont nous avons indiqué plus haut le caractère profondément problématique ; dans sa ‘‘modestie’’, elle implique au moins une posture en rupture avec les philosophies de surplomb, avec la prétention théorique à déterminer les pratiques et leurs finalités. En fait, ce terme est proposé pour signaler, décrire, problématiser et élaborer le lieu géométrique ou la coupure entre le théorique et le pratique, à l’endroit précis où ils s’articulent.
C’est pourquoi, le questionnement sur le concept de geste philosophique n’entend nullement condamner certains types de pratiques philosophiques (la métaphysique, par exemple), ni faire la promotion unilatérale d’un seul profil de geste philosophique résumant à lui tout seul l’essence de la philosophie. L’objectif du colloque n’est donc pas de construire la ‘‘vérité’’ du geste philosophique, mais de proposer un foisonnement et une complémentarité peut-être parfois conflictuelle de sens que nous essayons de répartir selon les 4 axes suivants dans lesquels Communications orales, Ateliers, Tables Rondes, e-Posters devront s’inscrire :
Le geste de la philosophie à l’égard de la Cité, depuis Platon, s’est voulu radical. Après la mort de Socrate, le conflit entre le philosophe et la Cité, comme l’analyse Hannah Arendt, ‘‘était arrivé à son paroxysme’’ et ‘‘c’est dans cette situation que Platon conçut sa tyrannie de la vérité’’ (Qu’est-ce que la politique ?, Paris : Seuil, col. Points, 2014, p. 59) : le philosophe devait être roi. La figure du philosophe ‘‘conseiller du prince’’, perdurant au cœur de la République, en est un héritage. Elle s’efface aujourd’hui. Le ‘‘besoin’’ de philosophie dans la Cité toutefois ne s’efface pas avec elle. À une philosophie de surplomb succède une philosophie dont les gestes aspirent soit à participer au sens commun, si ce sens n’est pas seulement ce que « nous avons tous en commun, mais qui de plus nous rend aptes à intégrer un monde commun et par là à le rendre possible’’ (Ibid., p. 90) soit à se dégager ou s’éloigner de lui comme étant un obstacle épistémologique (Bachelard, G., La formation de l’esprit scientifique, Paris : Vrin, 1938). Pourtant, la philosophie dans ce commun n’a nul privilège ; est-ce qu’elle y aura un rôle ? Y a-t-il pour le/la philosophe, un geste spécifique au profit de ce commun difficilement construit et reconnu ?
Pour beaucoup d’hommes et de femmes de notre monde, la quête de soi, la quête de l’identité personnelle, passe aujourd’hui par le ‘‘développement personnel’’, devenu comme la figure contemporaine de la Bildung. Un phénomène aussi important ne peut pas être seulement l’effet de la mode. Il touche à des évolutions sociales et culturelles de fond. Il concerne en profondeur l’identité moderne : ce que nous sommes, comment nous nous concevons comme être humain.
D’autre part on ne peut que constater que le modèle éducatif imposé ignore très largement toute la tradition des gestes éthopoïétiques et des exercices existentiels. L’idée selon laquelle la philosophie serait une forme globale d’éducation est d’ailleurs très ancienne. Étudiant les sagesses antiques, Pierre Hadot a insisté sur le fait que la philosophie, parce qu’elle est un art de vivre, est essentiellement un ensemble de pratiques et d’exercices variés, et non la construction d’un langage technique réservé à des spécialistes (Hadot, P., Exercices spirituels et philosophie antique, Paris : Albin Michel, 2002).
Cet axe voudrait tirer au clair ces gestes infimes qui organisent ou désorganisent l’éthique dans des environnements pluriels amplifiant ce qui permet à la personne humaine de se former au sein de conditions différentes qui tout en la construisant la défient.
Dans ce cadre on s’intéressera aussi, par exemple, à l’intervention philosophique en situation clinique. Celle-ci en effet, si elle est en étroite relation avec le souci de l’autre au cœur d’une éthique pleinement philosophique, vient aussi en écho à la problématique de l’expérience : l’implication philosophique ici ne vise-t-elle à donner un sens à la santé et la maladie comme expérience proprement humaine ? D’autre part, nous essayons de comprendre comment l’intervention philosophique révèle des couches intérieures au niveau de l’éthique, particulièrement quand la formation de cette dernière est soumise aux conditions singumières régissant les différents champs d’activité ou les différents espaces professionnels : quels seraient les gestes qui émanciperaient l’éthique, en tant qu’un mouvement persistant de réflexion, dans des contextes, engagements et limitations diversifiés, en deçà et au delà des codes, méthodologies, styles, pratiques ?
Que ce soit dans le cas de la formation de soi ou dans celui de l’éducation de la jeunesse, l’éducation ne saurait s’épuiser dans certaines actions fonctionnelles (inclure, instruire, transmettre, évaluer, socialiser, encadre etc.). Elle se présente plutôt comme un ensemble de gestes philosophiques destinés à nous rendre meilleurs ou, plus modestement, à nous aider à vivre une vie digne d’être vécue, c’est-à-dire une vie philosophique.
Aujourd’hui, un modèle marqué par l’utilitarisme et par l’ingénierie technocratique de la formation (le modèle des compétences, entre autres) promeut une conception techniciste de l’éducation, à laquelle s’opposent toutefois de nombreuses pratiques puisant aux sources anciennes de la paideïa antique, de la Renaissance humaniste, de la Bildung ou, plus récemment, de la galaxie de l’Éducation nouvelle dès lors que celle-ci n’est pas réduite à des ‘‘techniques pédagogiques’’ mais demeure porteuse d’un projet philosophique et politique.
La Biennale pourra donc explorer deux catégories de problèmes au moins :
* Au niveau conceptuel, il sera intéressant d’explorer la délimitation de la notion de ‘‘geste’’ en éducation, en la distinguant de notions telles que les notions d’exercices, de dispositifs, de pratiques, d’actes, de postures, tout en l’articulant avec ceux-ci. En quoi sourire à un enfant, mais aussi exprimer une réprimande à son égard, sont-ils des gestes philosophiques ? En quoi des gestes professionnels d’enseignants et d’éducateurs peuvent-ils être dits ‘‘philosophiques’’ ?
* Au niveau pratique, les contributions pourront se focaliser sur des exemples de gestes philosophiques éducatifs et sur leur mise en œuvre. En ce domaine, les expériences ordinaires dans les salles de classe et les lieux éducatifs peuvent voisiner avec l’examen de pratiques induites par des courants pédagogiques et éducatifs spécifiques.
L’art contemporain et la philosophie contemporaine connaissent aujourd’hui une aventure commune. Les frontières entre l’art et la philosophie s’estompent. Il y a bien une ‘‘inspiration philosophique de l’art contemporain’’ (Moeglin-Delcroix, Α., Les artistes contemporains et la philosophie, Revue d’esthétique, n° 44, 2003). Non seulement l’artiste lit les philosophes et s’en inspire, mais il inscrit l’interrogation philosophique dans son faire artistique. Les ‘‘performances’’ sont d’abord des interrogations de l’expérience : elles relèvent le défi que selon Dewey l’art lance à la philosophie, ‘‘défi qui a pour enjeu la compréhension, l’élargissement et l’amélioration de l’expérience’’ (Barbereau, Y., ‘‘Expérience et performance. Fragments d’un dialogue pragmatique’’, dans : Anne Moeglin-Delcroix (dir), Les artistes contemporains et la philosophie, Revue d’esthétique, n° 44, 2003). Dans quelle mesure la philosophie peut-elle relever ce défi en elle-même, au sein de son faire spécifique ? Dans quelle mesure le geste philosophique peut-il participer à cette compréhension, cet élargissement et cette amplification de l’expérience ? Expérience philosophique et expérience artistique, geste philosophique et geste artistique peuvent-ils se nourrir l’un de l’autre, faire œuvre commune ? Ces interrogations et ces pratiques communes à l’art et à la philosophie ont par ailleurs leurs pendants en éducation. Non seulement, les recours à l’art et aux artistes comme alternatives éducatives se multiplient, mais de plus en plus nombreuses sont les initiatives éducatives conjuguant l’intervention artistique et l’intervention philosophique.
Les Biennales Internationales de Philosophie Pratique du Laboratoire de Recherche en Philosophie Pratique (L.R.Ph.P.) rassemblent des philosophes, académiciens/ennes, chercheurs|euses, artistes, praticiens|ennes, qui sont invités à présenter et à développer une approche authentique des questions sur la philosophie pratique (dans quatre axes: politique, éthique, éducation, esthétique) révélant ses rappors possibles avec les arts et les pratiques.